Auteur – Entrevue Patrick Nordmann

Voici une entrevue que j’ai réalisé avec Patrick Nordmann, scénariste des albums « Le prophète » et « La légende de l’ouest », en novembre 2002. Je tiens à le remercier.

Q1- Depuis quand et qu’est-ce qui vous a intéressé dans l’univers de Lucky Luke?

R1 – Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours rêvé de l’Ouest américain. je jouais aux cow-boys et aux Indiens avec mon frère jumeau Dominique et les copains et nous traversions les prairies et les plaines des terrains vagues du quartier en attelant notre chienne berger allemand à un petit char bâché. Aujourd’hui, je ne joue plus au cow-boy, j’en suis un ( !), puisque avec des amis nous possédons une cinquantaine de chevaux dans un Ranch dans les bois non loin de Lausanne en Suisse où nous éduquons des Quarters Horses et des Appalloosas à toutes les disciplines de l’équitation western, à la randonnée et au tri du bétail. Ma jument est une Appalloosa blanche tachetée de brun du nom de Just, qui ressemble pas mal à Jolly Jumper ! Depuis toujours aussi, je suis un fan de BD et je lisais chaque semaine les magazines de Tintin, Spirou et Pilote. J’adorais bien sûr Lucky Luke et j’étais un grand admirateur de René Goscinny qui m’a appris que l’on pouvait gagner sa vie en racontant des histoires et en s’amusant. Comme la BD n’était pas très développée en Suisse, je me suis tourné vers la radio où pendant plus de 30 ans, j’ai écrit et joué des sketches et des parodies dans des émissions d’humour qui avaient beaucoup de succès.

Q2- Durant votre enfance, vous rêviez d’écrire un scénario pour Morris. Comment vous vous êtes senti lorsque vous avez su que Morris avait retenu votre scénario ?

R2 – Après la mort de René Goscinny, comme beaucoup de fans de Lucky Luke, j’ai un peu perdu le goût de suivre ses aventures… mais le poor lonesome cow-boy me restait là au fond de la tête, tout comme mon amour pour les chevaux et le western. En 1987, j’ai rencontré par hasard Morris à Rochefort en Belgique. Je lui ai vaguement parlé de mon envie d’écrire un scénario et l’été suivant je lui envoyais le scénario complet, découpé case par case du » Prophète « . Il me répondit que le scénario lui plaisait, mais qu’il avait tellement d’autres projets qu’il doutait fort qu’il ait, un jour, le temps de dessiner cet album… De fait, j’ai attendu 10 ans, puisque c’est en 1998 que Morris m’a appelé pour me dire qu’il allait réaliser » le Prophète « . Ce fut bien sûr une très grande joie, d’abord et surtout parce que je me suis très vite rendu compte que Morris s’amusait beaucoup à dessiner mon scénario. C’était pour moi la chose essentielle. Et quand Morris m’a dit qu’il retrouvait avec moi le même plaisir qu’il avait connu avec René Goscinny, je fus vraiment comblé… car ce sacré Morris méritait bien cela !

Q3- À part « Le prophète » et « La légende de l’ouest », avez-vous écrit d’autres scénarios qui n’ont jamais été publiés ? Si oui, avez-vous des titres ou des résumés ?

R3 – Jusqu’à son accident et sa disparition, ma collaboration avec Morris s’est beaucoup intensifiée puisque j’ai terminé un troisième scénario de Lucky Luke intitulé » Lucky Luke contre Lucky Luke » dont Morris a dessiné 22 planches, j’écris une quatrième aventure intitulée » Melting Pot » dont l’idée plaisait beaucoup à Morris et à sa demande j’avais repris les aventures de Rantanplan dont j’ai co-écrit un scénario » Le Grand Sachem » avec Monique Reboh et proposé, toujours avec Monique Reboh, plusieurs synopsis pour les Rantanplan. Je travaille également sur d’autres projets avec d’autres dessinateurs.

Q4- Avez-vous rencontré des difficultés lors de l’écriture du scénario de La légende de l’ouest ?

R4 – La conception d’un scénario se fait en plusieurs phases : A) déterminer un thème porteur en rapport avec l’histoire de l’Ouest, mais assez universel pour nous toucher encore, par exemple la vanité de la notoriété dans » la Légende de l’Ouest… B) concevoir une histoire qui » avance » avec si possible une logique narrative implacable ! C) Imaginer les séquences qui pages après pages vont illustrer cette histoire si possible de manière amusante ! Mais les meilleurs gags sont ceux qui naissent de la situation elle-même et il faut éviter de placer des gags » gratuits » c’est à dire sans rapports avec le déroulement de l’histoire. Il est évident que lors de chacune de ces phases, les moments de doute et d’angoisses ne sont pas rares…et je tourne beaucoup en rond avant de trouver la bonne solution qui débloque la situation et met l’histoire sur le bon rail.

Q5- Qu’est ce que vous avez ressenti suite au décès de Morris ?

R5 – La mort de Morris a été un coup très dur et très triste car nous avions développé une belle amitié et j’adorais le voir s’amuser d’un gag ou d’une situation que je lui avais proposés dans un scénario et de son enthousiasme juvénile à travailler à sa table à dessin.

Q6- Quel est le plus beau souvenir de votre travail avec Morris ?

R6 – Lorsque je lui ai remis le scénario de » Lucky Luke contre Lucky Luke « , il est devenu comme fou ! Le thème lui plaisait tellement qu’à peine terminée la réalisation de » La Légende de l’Ouest « , il a enchaîné sur LL contre LL….travail qu’il n’a malheureusement pas fini et je suis sûr que là où il est il doit le regretter !

Q7- Avez-vous hâte de lire le nouvel album du duo Achdé et Laurent Gerra?

R7 – Difficile question. J’espère franchement pour Lucky Luke et pour Morris, que cette aventure sera dans l’esprit de la série, car n’oublions pas que c’est tout un Univers qui a été la raison d’être de Morris lorsqu’il a créé un unique héros évoluant dans le contexte de l’Ouest américain. C’est un univers qu’il faut connaître et aimer pour pouvoir s’en amuser en le parodiant tout en lui gardant son aspect merveilleux.

Q8- Avez-vous des anecdotes ou des faits cocasses à raconter reliés à Lucky Luke?

R8 – Lorsque je me balade sur mon cheval blanc, il arrive souvent que les enfants à qui l’on a dit que j’écrivais les histoires de Lucky Luke confondent quelque peu et me regardent avec de grands yeux comme si je sortais d’un album de Morris !

Autographe réalisé en novembre 2002